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Le journal de la campagne EGEE 3
(première partie)

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EGEE 3


la route de l'Atalante pendant la première partie d'EGEE 3 (en rouge)

Journal de bord
de la deuxième partie de la campagne

(19 juin - 6 juillet)


mardi 23 mai
mercredi 24 mai
vendredi 26 mai
dimanche 28 mai
lundi 29 mai
jeudi 1° juin
vendredi 2 juin
samedi 3 juin
dimanche 4 juin
lundi 5 juin
mardi 6 juin
mercredi 7 juin
jeudi 8 juin
vendredi 9 juin
samedi 10 juin
dimanche 11 juin
lundi 12 juin
mardi 13 juin
mercredi 14 juin
jeudi 15 juin
vendredi 16 juin

mardi 23 mai

Mise en ligne du journal d'EGEE 3.

Deux personnes responsables de l’équipe scientifique (Bernard Bourlès et Yves Gouriou) sont arrivées le samedi 20 mai à Cotonou, afin de superviser les préparatifs sur place, vérifier l’arrivée du matériel, les problèmes éventuels de dédouanement, de place à quai du navire, etc.

Toute l'équipe est maintenant arrivée à Cotonou. Partis fin avril de Montoire, les containers de matériel y sont parvenus après 12 jours de mer. Le N/O Atalante, lui, est arrivé de Durban, où il a fait une escale en provenance de Port-Louis (île Maurice). Certains colis sont encore attendus.


mercredi 24 mai

Démarrage officiel de la campagne. Tous les scientifiques sont à bord, et les deux jours à venir sont consacrés à l'embarquement et au rangement du matériel. En effet, la quantité de matériel scientifique embarquée pour cette campagne est impressionnante. Pas moins de quatre conteneurs de 20’’ (soit 28 m3 chacun) et 2 conteneurs de 40’’ (soit 58 m3 chacun) pour un total approximatif de près de 200 m3 de matériel embarqué à bord !...

Un conteneur de 20’’ est parti de Toulouse (Météo-France) pour apporter tout le matériel nécessaire pour les mesures de flux et échanges à l’interface air-mer : matériel du CNRM (Toulouse) et du CNRS (IPSL, Paris).
Deux conteneurs de 20’’ sont partis de Brest (Météo-France) pour apporter des mouillages dérivants équipés de capteurs de température sur la verticale, de la surface à 200 m, appelés MARISONDE.

Un conteneur de 20’’ et un autre de 40’’ sont partis du Centre IRD de Bretagne (matériel de différents laboratoires : Centre IRD de Bretagne, CNRS/INSU et Ifremer de Brest, laboratoire LOCEAN de Paris, NOAA de Miami -USA-, IFM-GEOMAR de Kiel et Université de Brême -Allemagne-) pour tout le matériel d’hydrologie, courantométrie, chimie, des profileurs dérivants profonds (PROVOR), et des bouées dérivantes de surface (équipés de capteurs de température, appelés SVP).

Enfin, le dernier conteneur de 40’’ est en provenance de Seattle (USA) et de la NOAA/PMEL, contenant le matériel nécessaire pour remplacer les bouées météo-océaniques du programme PIRATA. Enfin, d’autres matériels en provenance des USA sont arrivés par avion à Cotonou, pour les laboratoires RSMAS (Miami) et Lamont (New-York), pour effectuer des mesures de flux, aérosols et biogéochimiques.


vendredi 26 mai

Après quelques difficultés pour récupérer les derniers colis en provenance des Etats-Unis (et qui ont transité certains par Paris, d’autres par Lagos au Nigeria), tout le matériel est finalement arrivé à bord et la campagne a pu démarrer le 26 mai à 17h TU (soit 18h en heure locale, 19h en France). En fait, si la campagne commençait effectivement le 24 mai, date à laquelle tous les scientifiques ont embarqués à bord, il fallait largement 48 h pour installer les appareils de façon optimale, et notamment ceux de mesures de flux et échanges air-mer dans les structures du navire (et donc des kilomètres de câble à tirer…).

La mer est belle et calme, le vent assez faible (10-14 nds).


dimanche 28 mai

18 h : première bouée PIRATA en cours de remplacement, à l'intersection de l'équateur (0° de latitude) et du méridien de Greenwich (0° de longitude).

Le navire se dirigera ensuite vers l'ouest pour gagner le point 1°30 N - 10 ° W, soit un changement par rapport au plan initial de la campagne, qui prévoyait de faire route au sud-ouest. Ce plan a en effet été modifié de façon importante pour tenir compte de la direction des vents et des courants.

La campagne a trois impératifs pour tenir un emploi du temps particulièrement chargé, avec beaucoup de route à faire à une vitesse de 10 nœuds entre les stations, et de 11 nœuds (espérés) pendant les longs transits.

Tout d'abord, nous avons deux rendez-vous impératifs au sud du Bénin (entre 2°N et la côte), le 15 juin (à la fin du premier leg) et le 4 juillet (à la fin du deuxième leg), où des avions vont dans le cadre d'AMMA survoler le navire, afin de mesurer des paramètres atmosphériques de la surface de la mer à plusieurs kilomètres d'altitude. S'ajoutant à celles faites à partir du navire, ces mesures vont permettre d'estimer dans les meilleures conditions possibles les échanges air-mer et leur impact sur l’atmosphère pendant la mousson d’Afrique de l’Ouest.

Ensuite, nous devons remplacer les bouées PIRATA, ce qui demande au moins 12 h sur place, puis faire des stations fixes de 24 h à proximité de ces bouées. Ces stations permettront notamment une intercomparaison des flux (échanges d'énergie à l'interface air-mer) estimés à partir des mesures de ces bouées (disponibles quotidiennement en temps réel via le système Argos, mais dont le nombre et la fréquence sont réduits) avec ceux estimés à partir des mesures réalisées sur le navire, qui sont cette fois en très grand nombre, de très haute précision et obtenues avec une très haute fréquence. L'intervention sur les bouées PIRATA est ce qui doit être assuré le plus vite, afin qu'elles soient en parfait état de fonctionnement pendant l'expérience AMMA qui débute, et donc nous devons impérativement commencer la campagne par la partie ouest du Golfe de Guinée où se situent les quatre bouées à changer (ou a re-déployer… j'y reviendrai).

Enfin, nous devons faire un grand nombre de stations hydrologiques (navire arrêté), le long de sections méridiennes (10° W, 2°50' E et 6° E) et zonales (6° S), qui prennent environ 2 h chacune en moyenne.

Tous ces travaux limitent la marge de manœuvre, et donc le timing est très serré...

Ainsi, avant le départ, au vu de nos connaissances sur les vents dominants (sud vers le nord) et les courants de surface qui influent dramatiquement sur la vitesse du navire, nous avons décidé de changer le sens du parcours de la première partie. En effet, après être passé au point 0° E-0° N, où se situe une bouée PIRATA, plutôt que d'aller vers 10° S-10° W face au vent, et courant an travers (venant du Sud-Est), nous irons directement à 1°30' N-10° W, profitant ainsi du Sous-Courant Equatorial qui devrait nous pousser et ous faire gagner en vitesse. De même, lors du transit entre 10° S-10° W et Cotonou, nous aurons alors le vent dans le dos, ce qui devrait aider à être bien au rendez-vous !

Carte des courants de surface dans le golfe de Guinée le 30 mai 2006
(issue du modèle d'analyse et de prévision du système Mercator)
cliquez sur la carte pour l'agrandir


lundi 29 mai

Nous sommes restés près de 48 h sur place à la position de la première station (0°-0°). Nous avons d'abord procédé au changement d'une bouée de mesures météo-océaniques du programme PIRATA. Ces stations météorologiques situées en plein océan sont indispensables pour avoir des mesures dans des endroits où aucune mesure n'est possible autrement sur de longues durées. Pour rester à la même position, elles sont ancrées par un lest de 2 tonnes posé au fond (parfois à 5000 m de profondeur) et relié à la bouée par un câble. Ces bouées font 3 m de haut et sont équipées de capteurs météorologiques (température de l'air, direction et vitesse du vent , précipitation, radiation solaire, humidité de l'air) et océanographiques (température, salinité et pression entre la surface et 500 m de profondeur). A quelques dizaines de mètres du fond, un appareil permet, en détectant un signal acoustique émis par le navire, de "larguer" le lest et de libérer le mouillage que l'on peut alors récupérer à bord. Autant la récupération n'est pas trop délicate (il faut que le navire avance face au vent pour être stable et que la ligne du mouillage soit dans l'alignement du navire à l'arrière afin qu'il ne passe pas sous la coque), la mise à l'eau peut poser problème à l'équateur. En effet, il existe à l'équateur un courant de sub-surface (appelé Sous Courant Equatorial, bien observé au cours d'EGEE 2) intense (jusqu'à 1,5 nds) et portant vers l'est, donc à l'opposé du courant de surface (qui porte vers l'ouest), alors que le vent, lui, porte vers le nord… Donc, le câble, une fois déroulé à l'eau, s'enfonce dans les profondeurs en étant soumis à ce sous courant, ce qui tire le mouillage vers l'est ; le navire ne peut plus rester face au vent et doit s'orienter à faible vitesse vers l'ouest afin de garder la ligne de mouillage alignée vers l'arrière, sous peine de voir le câble et les capteurs heurter le navire (et donc s'abîmer) ou passer sous la coque !

Ensuite nous avons fait un point fixe, restant 24 h face au vent à proximité de la bouée nouvellement installée, afin de comparer les mesures météo faites à bord du navire avec celles de la bouée. Pendant ces 24 h, nous avançons à 2 noeuds face au vent pendant 1/2 h, puis revenons au point de départ (ce qui demande également 1/2 h), afin d'avoir ainsi le cycle diurne complet de ces paramètres.

Pendant ces périodes d'une 1/2 h face au vent, des mesures de turbulence océanique étaient également réalisées, avec une sonde mesurant à 1000 Hz la température, la salinité et les variations de courant sur la verticale, de la surface à 200 m de profondeur.

Nous avons également fait 2 profils hydrologiques de la surface à 1000 m et 2000 m avec des échantillons d'eau de mer sur la verticale (bouteilles de prélèvement) grâce à la bathysonde. Une autre profil a été réalisé jusqu'à 100 m à midi, afin d'étudier l'influence de la lumière sur la production primaire.

Nous avons quitté la station 0°-0° lundi matin, à 7h TU.


jeudi 1° juin

Cet après midi, nous avons récupéré un mouillage "profond" de nos collègues allemands, du laboratoire IFM-GEOMAR de Kiel. Ce mouillage comporte une source acoustique maintenue en position par un câble relié à un lest posé sur le fond à une profondeur de 800 m. Pour que l'appareil ne se déplace pas trop sous l'effet du courant, la verticalité du câble est assurée par des bouées de flottabilité disposées régulièrement le long du câble : ce sont des boules en verre d'environ 60 cm de diamètre entourées de plastique.  Pour récupérer le mouillage, celui-ci est muni d'un largueur acoustique situé au-dessus du lest. Le navire lui envoie un signal acoustique afin qu'il se décroche, et ainsi l'ensemble du mouillage remonte en surface grâce aux bouées remplies d'air. Une embarcation du navire (zodiac) va ensuite récupérer le mouillage et le rapporter à bord.


Récupération du mouillage par le zodiac


Hissage de la source
acoustique sur le pont

Pourquoi une source acoustique à 800 m ? Pour mesurer les courants à cette profondeur. En effet, si l'on met plusieurs sources ainsi réparties dans une région de l'océan, on peut repérer une bouée dérivante munie de capteurs acoustiques à l'aide d'une méthode simple de positionnement par triangulation. Les sources acoustiques émettent régulièrement un signal qui est réfléchi par les bouées dérivantes et réceptionné en retour par les sources. Quand on dispose d'au moins trois sources, on peut connaître ainsi la position des bouées. Cette expérience menée depuis plusieurs années par nos collègues de l'IFM-GEOMAR a également été menée par d'autres laboratoires, notamment à l'Ifremer (nos collègues du Laboratoire de Physique des Océans), qui ont ainsi pu obtenir des informations précieuses sur les courants océaniques profonds en Atlantique Sud et Equatorial, à 800 et 1800 m de profondeur.

 


vendredi 2 juin

Aujourd'hui, nous sommes donc arrivés à 10°W-0°N, ce qui est une position d'une bouée météo-océanique de type ATLAS du programme PIRATA. Le problème des bouées est qu'elle jouent le rôle d'attracteur pour les poissons (qui y trouvent sans doute leur pitance à l'ombre… et les bouées permettant à de nombreux organismes de se fixer), et donc … des pêcheurs ! Et malheureusement, dans le Golfe de Guinée, des eaux froides remontent des profondeurs pendant l'été et apportent des éléments nutritifs qui favorisent la prolifération des organismes et constituent un environnement favorable pour les poissons : nos bouées sont donc dans une zone très riche en poissons et donc appréciée des pêcheurs. Parmi ces derniers, certains ne sont très regardants sur le fait que ces bouées sont des outils de recherche, donc très précieuses (en dehors de leur coût) ! Bref, souvent nos bouées disparaissent… notamment celles qui sont situées le long de l'équateur.

Ici, à 10°W-0°N, la bouée avait été installée en juin 2005 pendant la première campagne EGEE, et a "disparu" en janvier 2006. En fait, elle a été décrochée et est partie en dérive. On a donc eu la chance de pouvoir suivre sa dérive (puisqu'elle émet quotidiennement par le système de transmission par satellite Argos pour envoyer des mesures), jusqu'au Ghana, où elle s'est stabilisée en mars dernier.

Grâce à nos collaborations effectives avec nos partenaires des pays d'Afrique de l'Ouest, notamment dans le cadre des programmes AMMA et EGEE, mais également depuis de nombreuses années (programme Focal de 1983-84, programme Equalant en 1999-2000), nous avons pu établir des relations avec des scientifiques de plusieurs pays de la côte nord du Golfe de Guinée (Nigeria, Bénin, Togo, Côte d'Ivoire, et depuis fin 2005 le Ghana). J'ai ainsi pu contacter nos partenaires pour les alerter de l'échouage de la bouée PIRATA près des côtes ghanéennes, et un scientifique océanographe, le Pr. Ayayi Armah de l'université d'Accra, a aussitôt fait tout le nécessaire dans son pays (avec l'aide de la marine nationale) pour pouvoir aller récupérer ce qu'il était possible de récupérer sur la bouée, et surtout le plus important, à savoir les capteurs et l'ordinateur de la bouée (qui stocke toutes les données à haute fréquence acquises en continu)… Maintenant, le travail consiste à trouver comment faire parvenir tout le matériel ainsi récupéré au Bénin ! Etant presque sur place à Cotonou (soit à 200 km de la frontière ghanéenne, le Bénin et le Ghana étant séparés seulement par le Togo), nous avons pris les contacts nécessaires avec un transitaire afin de pouvoir récupérer tout ce matériel avant la fin de la campagne pour le réexpédier avec le matériel de la campagne.

Pour revenir à la campagne nous déployons donc aujourd'hui une nouvelle bouée sur ce point et ensuite resterons en "point fixe" de plus de 24h pour les mesures de flux et de turbulence atmosphérique à l'interface air-mer……


samedi 3 juin

Le déploiement de la bouée PIRATA s'est très bien déroulé. Nous avons mis environ 4 h 30 pour ce faire, et avons embrayé ensuite sur le point de fixe qui durera plus de 24 h.

Bonnes nouvelles du Ron Brown qui a obtenu les autorisations de travail au large du Cap Vert. Ce navire océanographique américain effectue en ce moment une autre campagne dans le cadre du programme AMMA, mais plus au nord.

Dans l'après midi, nous avons commencé une série d'exposés scientifiques à bord, afin que chaque responsable d'expériences, mesures, travaux etc… à bord, ou à terre en lien direct avec la campagne, puisse en expliquer aux autres (ainsi qu'à l'équipage) l'intérêt, le pourquoi et le comment. Nous avons au moins 60 instruments de mesure à bord, qui relèvent de spécialités très différentes, et on aimerait bien tous savoir à quoi ils servent ! Guy Caniaux (Mété France) a donc fait un exposé, suivi d'une visite à l'avant du navire de tous les instruments météo installés à Cotonou et fonctionnant en continu pendant la campagne. Cet après midi, ce sera notre collègue des USA (du Lamont) Ajit Subramaniam qui exposera son travail en biogéochimie, et notamment certains travaux récents suggérant l'influence possible des particules sur la température de la couche de mélange. Ces séances reprendront au prochain point fixe car il est impossible de faire cela pendant ou entre les stations (en plus, il n'y aurait personne pour y assister !).

Nous sommes donc le long de la radiale 10°W, que l'on parcourt du Nord au Sud. Hier matin, nous étions la matin à 1°30'N, et la série de profils CTD (stations navire arrêté) a commencé, à raison d'un profil tous les 1/2° de latitude. Chaque station dure approximativement 2 h 30, car de nombreuses opérations s'y succèdent :
- le navire doit d'abord prendre le temps de s'arrêter (un navire, même lancé à 10 noeuds, a une très grande inertie…) ;
- on met le châssis de la bathysonde à l'eau ; la sonde est descendue à la vitesse approximative de 1m/s, puis on la remonte en l'arrêtant  à des profondeurs choisies pour fermer des bouteilles de prélèvement d'eau de mer (bouteilles contenant 8 litres); le tout prend environ 1 h 45. Pendant la descente, la sonde envoie sur un PC à bord du bateau toutes les mesures qu'elle effectue (8 paramètres mesurés 24 fois par seconde), grâce à un câble électro-porteur ;
- quand le profil hydrologique est terminé, on récupère d'abord les mesures des courantomètres à effet Doppler montés sur le châssis, puis on fait la série des prélèvements sur les bouteilles ;
- les prélèvements peuvent durer plus d'une heure et demie, en fonction du nombre de paramètres que l'on doit analyser et des précautions particulières que nécessite chacun d'entre eux pour le prélèvement de l'eau. Pendant ce temps, on fait des profils de turbulence océanique à l'aide de la sonde CTD appelée MSS (Micro Structure Sounding) qui fait des mesures à raison d'environ 1000 mesures par seconde. On en fait trois jusqu'à une profondeur de 200 m, ce qui prend environ 30 à 40 mn ;
- quand la station a lieu entre 10 h et 14 h, on fait également un profil de pénétration lumineuse jusqu'à 100 m de profondeur, ce qui prend environ 15 mn.
Ensuite, on est prêt pour repartir vers la station suivante…

En faisant cap au sud, nous nous retrouvons face au vent dominant (venant du Sud-Est), et avec le courant de surface de travers, voire légèrement de face (vers l'Ouest-Nord-Ouest), ce qui ralentit sensiblement notre route… Ainsi, on a pu faire plus de 12,5 nœuds pour venir à cette section (venant de l'est, nous avions courant et vent favorables), maintenant nous ne dépassons guère les 9,5 noeuds !

 


Dimanche 4 juin

Comment déployer un mouillage profond en plein océan ? C'est une opération délicate, qui nécessite beaucoup de précaution et … d'ordre ! Il va déjà de soi qu'on va mettre le lest en dernier…. Donc on commence à mettre à l'eau la "tête" du mouillage, qui est la bouée météorologique dans le cas des mouillages PIRATA, mais qui peut être une structure métallique munie de bouées de flottabilité (généralement avec un émetteur Argos et un flash, afin de le repérer plus facilement lors de sa récupération). Le navire doit rester manœuvrant pendant toute l'opération, surtout pour éviter que le câble passe sous le navire ou dans les hélices, ce qui serait une catastrophe… Pour cela il y a deux théories. Dans les deux cas, il faut que le câble soit tendu au mieux pendant son déroulement à l'arrière du navire. Pour ce faire, le navire peut se mettre face au vent et au courant de surface (ou plus généralement à la résultante des deux), le mouillage étant alors entraîné par la dérive à l’opposé de la direction du navire. Cela permet d'avoir un navire plus manoeuvrant et de maintenir plus facilement le déroulement du mouillage dans l’axe. L'autre possibilité consiste au contraire à avoir un câble un peu moins tendu (ce qui facilite la mise en œuvre des instruments le long de la ligne du mouillage) et donc de positionner le navire dos au vent et au courant (ou à la résultante des deux) en maintenant une vitesse du navire régulière par rapport à la surface. Si le navire ne va pas assez vite, le risque est que le câble s’enroule sur lui-même et fasse des nœuds, dépasse le navire ou se place dans l’hélice ! Dans les deux cas, il faut commencer le déploiement assez loin du point où l'on souhaite que le mouillage soit positionné (moins loin dans le premier cas puisqu'on remonte le vent et le courant, assez loin dans le second car le vent et le courant nous poussent…). Enfin, il faut que l'on dépasse le point final du mouillage pour larguer le lest, car en descendant vers le fond, il va tendre et tirer le mouillage vers sa position de largage, mais en revanche il subit le même effet de la part du mouillage et va donc être entraîné vers le point où la tête du mouillage a été mise à l'eau. Le lest étant plus lourd (il pèse environ 2 tonnes), la règle est qu'il va atteindre le fond à environ 1/4 de la longueur du mouillage. Ainsi, si on a un mouillage de 4000 m, il faudra larguer le lest à 1000 m du point voulu…

Toute cette opération ne pose généralement pas de gros problèmes, notamment quand le courant et le vent sont faibles… Mais à l'équateur, il y a le Sous Courant Equatorial, très intense, portant vers l'est et situé entre 30 m et 200 m de profondeur, qui va donc entraîner vers l'est une fois qu'un longueur suffisante du mouillage sera mise à l'eau (et entraînée en profondeur par son propre poids ou celui des instruments, et ce entre les éventuelles bouées de flottabilité). Comme le courant de surface porte lui vers l'ouest, cela complique grandement les opérations… et gène considérablement la manoeuvrabilité du navire, qui pour garder le déroulement du câble vers l'arrière, est obligé de prendre un cap avec une composante vers l'ouest ! Il faut donc commencer la mise à l'eau à l'est du point "cible"…. Dans le cas des deux mouillages que nous avons mis à l'eau ces derniers jours, le courant de surface et le vent portant vers le Nord Ouest, nous sommes partis du Sud Est du point cible, à une distance assez grande calculée en fonction de la dérive estimée du navire pendant le déroulement (il nous a fallu plus de 4 h pour déployer un mouillage de 5000 m de longueur), animé d'une vitesse suffisante pour tendre le câble… : par exemple, si le vent et le courant nous poussent à 1 noeud, et que le navire avance à 1,5 nœuds pour tendre suffisamment le câble, on va donc avancer de 2,5 noeuds, et donc on estime qu'il faut commencer à 10 milles puisque l'opération va durer 4 heures. On prend un peu moins, puisqu'il faut aussi dépasser le point cible…. Les opérations se sont parfaitement déroulées…

Enfin, dernière précision, il faut parfaitement connaître la profondeur du fond et donc la bathymétrie de la zone ! Si les fonds sont supérieurs à la longueur du mouillage cela poserait un sérieux problème, car les bouées seraient entraînées sous la surface !


Lundi 5 juin


Des radiosondages sont effectués deux fois par jour, à 0 h et 12 h TU (Temps Universel, soit 2 h et 14 h en France). Il s'agit de lâcher un ballon gonflé à l'hélium (gaz plus léger que l'air) et équipé d'une petite station météorologique et d'un émetteur: Lors de la montée du ballon dans l'atmosphère, les mesures sont acquises au fur et à mesure et transmises en temps réel par satellite aux centres météorologiques. Ces radiosondages, effectués couramment sur les continents (notamment aux abords des aéroports), sont rarement réalisés en mer, et ils fournissent des mesures précieuses (profils de température et d'humidité) sur toute la hauteur de l'atmosphère, jusqu'à une altitude pouvant atteindre 28 000 m.

Depuis quelques jours, un petit jeu fournit de l'animation et de l'excitation dans l'équipe scientifique. Il s'agit de faire le radiosondage le plus élevé possible… Une liste d'inscription a été ouverte, et chacun à son tour peut faire le lâcher de ballon. Les mesures qui sont transmises en temps réel par satellite servent quelques heures après dans les modèles météorologiques de prévision climatique. En fait, on intègre dans les simulations faites par les modèles toutes les six heures (soit à 00h, 6h, 12h et 18h) toutes les données fiables obtenues par les observations disponibles dans le monde entier. Ce procédé, qui repose sur des techniques mathématiques très complexes, s'appelle faire de l'assimilation de données dans les modèles. On peut voir sur la photo le ballon qui s'élève au-dessus du navire, et juste en-dessous (sur la droite) le boîtier contenant une petite station météo avec un émetteur.

Pour montrer comment ces profils sont utilisés dans les modèles nous avons reçu du Centre Européen de Prévision Météorologique (ECMWF, situé à Reading en Grande-Bretagne) un exemple de l'utilité de ces profils. Sur ces figures, on peut voir que le modèle numérique s'est correctement "souvenu" des corrections apportées au modèle 6 heures auparavant. Au vu de l'évolution rapide de l'état de la couche atmosphérique (pression, température, humidité, vents…), nous pouvons constater que les profils effectués à partir du navire sont très utiles ! Et en pleine mer, ils sont rares, donc précieux.

 


Mardi 6 juin

 
L'évènement de cette journée est sans conteste le fait que la bouée météo-océanique du programme PIRATA, déployée en juin 2005 à 6°S-10°W pendant la campagne EGEE 1 et dont nous n'avions aucune nouvelle depuis septembre, a été finalement retrouvée… Comme cela est très (trop) souvent arrivé, nos bouées peuvent être vandalisées par des pêcheurs qui font peu de cas du matériel scientifique quand des poissons se trouvent en-dessous, mais elles peuvent aussi (c'est plus rare) tomber en panne électronique. Depuis septembre 2005, c'était donc l'incertitude, d'autant plus que c'est la première fois que ce site, loin de toute côte et de l'équateur (où se trouvent les eaux plus froides susceptibles de créer en étéun environnement favorable aux poissons) aurait été détruit. Nous l'avons donc retrouvée, mais dans un très mauvais état. Comme on peut le constater, il manque tous les appareils scientifiques situés en tête de la structure métallique triangulaire montée au-dessus de la bouée (le tripode) : anémomètre, pluviomètre, émetteur Argos et son antenne, etc… ce qui ne peut avoir été fait que par un accostage d'un navire pour s'y installer et pêcher ! Déjà l'an dernier, nous avions retrouvé par contre beaucoup de lignes de palangres autour de cette bouée et autour du câble.

Certes, nous avons récupéré la bouée et les capteurs océaniques, dont les mesures seront récupérables (car elles sont stockées dans le capteur lui-même), et avec un peu de chance la centrale électronique de la bouée, située au centre du tripode et donc toujours présente, peut avoir conservé en mémoire 3 mois de mesures météorologiques (soit de juin à septembre 2005). Mais il y a de quoi être en colère, quand on connaît le coût de la mise en oeuvre de ce programme, non seulement en matériel et en temps navire, mais aussi en temps de travail et en compétences scientifiques et techniques. Donc, je lance un appel à tous les pêcheurs professionnels susceptibles de naviguer dans ces eaux : qu'ils comprennent et fassent comprendre à tous les autres, dans toutes les langues possibles (français, espagnol, coréen, japonais, …), que ce matériel est à but scientifique et que les auteurs de ces destructions font un acte vulgaire de piratage ! Cela fait bientôt dix ans que le programme PIRATA a été lancé. Il faut énormément d'énergie et de fonds pour le maintenir, en partenariat avec les USA et le Brésil, et ce que l'on risque est d'abandonner purement et simplement, et très prochainement, l'idée de continuer à installer des bouées dans cette région, pourtant fondamentale pour la compréhension du système climatique de notre planète !

Nous redéployons donc en ce moment même une autre bouée complète sur ce site. En plus cette bouée sera équipée pour la première fois d'un capteur en continu de carbone, afin de contribuer à déterminer les échanges de ce gaz entre l'océan et l'atmosphère, et donc de comprendre le rôle de l'océan dans l'effet de serre, tant mis à mal actuellement par les activités humaines qui sont de fait responsables du réchauffement actuel de la planète (quoiqu'en disent certains !). Cet appareil a donc été fixé sur la bouée et va mesurer toutes les heures la fugacité du carbone dans l'océan et la température, et transmettre ces mesures quotidiennement par le système de transmission par satellites Argos. Sous la responsabilité de Nathalie Lefevre (IRD/LOCEAN), il a été conçu et réalisé par l'INSU, du CNRS, à Brest. Nous espérons donc que cette bouée ne sera pas victime de vandalisme une nouvelle fois cette année… Enfin, pendant le déploiement de la bouée, deux de nos collègues du CNRS à Paris ont fait un nouvel essai d'un cerf-volant muni d'une station météorologique.

 


Mercredi 7juin

Aujourd'hui, voici le début de la présentation de tous les instruments scientifiques utilisés sur le navire. Nous commençons par quelques instruments de mesures météorologiques. Pour résumer, nous cherchons à comprendre comment l'océan et l'atmosphère interagissent, et quel est le rôle particulier de l'océan dans la variabilité climatique, et en particulier du Golfe de Guinée sur la mousson africaine. Pour cela, nous avons besoin de comprendre les processus qui influent sur les couches supérieures de l'océan, qui elles mêmes vont conditionner les échanges avec l'atmosphère à l'interface. Comment peut varier la couche supérieure de l'océan, c'est-à-dire sa température, sa salinité, la couche de mélange, et donc l'énergie disponible qui pourra être échangée avec l'atmosphère ?

Imaginons un cube, qui représente un volume d'eau de mer donné : sa face supérieure sera pour nous la surface de l'océan, et ses côtés et sa base les limites avec d'autres volumes d'eau. Pour que la quantité d'énergie contenue dans ce cube varie, sachant qu'il a un volume constant, il faut qu'il y ait des échanges d'énergie par ses côtés. Par le haut, ce sont les échanges à la surface, donc avec l'atmosphère. Par les côtés latéraux et par la base, ce sont les échanges avec l'eau qui l'entoure. Lors de ceux-ci, l'énergie peut entrer ou sortir par les courants (ce qu'on appelle aussi advection) ou par les mélanges. Les courants sont soit horizontaux (par les côtés latéraux), soit verticaux (par la base). Les premiers sont de très loin les plus importants dans l'océan, mais les mouvements verticaux peuvent quand même avoir une grande importance, surtout dans des régions, comme le golfe de Guinée, où se trouvent des "upwellings" (remontées d'eaux froides par les couches sous-jacentes). Les mélanges quant à eux se produisent de façon un peu plus complexe, quand les propriétés des eaux environnantes sont différentes, ou quand les courants présents dans le cube d'à côté sont différents (il y a donc "frottement", donc échange d'énergie). Les mélanges, par différences de courant ou par différences de propriétés hydrologiques, peuvent aussi être provoqués par un déplacement des propriétés ou des courants par des ondes, qui se propagent en permanence dans tout milieu fluide (eau, air…).

Notre objectif est donc de mesurer au mieux tous ces paramètres (échanges à l'interface air-mer, courants, propriétés hydrologiques, ondes…) afin de connaître le bilan d'énergie dans l'océan, et tout particulièrement dans la couche d'eau homogène (couche de mélange) qui est en contact avec l'atmosphère. C'est ainsi que nous comprendrons comment la température de surface et le contenu thermique varient, et que nous arriverons à mieux paramétriser tous ces processus dans les modèles numériques. Les premiers instruments présentés ici concernent l'étude des échanges d'énergie à la surface de l'océan entre l'océan et l'atmosphère.


Jeudi 8 juin

Nous sommes désormais à 8°S le long de la radiale 10°W que nous parcourons du Nord au Sud. Nous avançons à un peu plus de 10 noeuds entre les profils hydrologiques et courantométriques, qui ont lieu tous les demi-degrés de latitude. A 10 nœuds (10 milles à l'heure), il nous faut trois heures pour parcourir ce demi-degré (30 milles nautiques). Nous effectuons un profil CTD jusqu'à 1000 m de profondeur en à peu près 1 heure, et il faut encore 1/2h pour faire 3 petits profils jusqu'à 200 m avec la sonde (MSS) qui mesure les microstructures océaniques (fréquence d'acquisition 1000 Hz, soit 1000 mesures par seconde) afin d'en déduire la turbulence et les mélanges verticaux. Pendant que se font ces profils, les prélèvements d'eau de mer à partir des bouteilles hydrologiques commencent, et se terminent une heure après, alors que le navire a déjà repris sa route vers la station suivante.

Nous serons donc demain en début d'après midi à 10°S, où nous remplacerons la dernière bouée météo-océanique du programme PIRATA de cette campagne. Puis nous ferons un point fixe météo de 24 h, face au vent à proximité de la bouée. Maintenant, la question est de savoir si les courants de surface ne vont pas nous ralentir pendant notre transit, entre 10°S-10°W et la radiale située au sud du Bénin, où nous avons normalement un rendez-vous avec des avions… De fait, gérer des vols d'avions scientifiques n'est pas une chose simple non plus, et le timing sera serré… Les avions sont basés actuellement à Niamey, au Niger, et doivent parcourir plusieurs vols afin de mesurer tous les paramètres atmosphériques en différentes altitudes afin d'étudier l'évolution des masses d'air en début de mousson africaine, la dynamique des nuages, etc. Il semble que les avions seraient plus disponibles pour faire le vol au-dessus de l'océan le 14 juin, et que des vols le 15 vont être faisables si plusieurs conditions sont remplies d'ici là, et à ce moment là…, il nous sera difficile d'arriver le 14 (on peut gagner quelques heures, mais certainement pas un jour entier). Les vents nous pousseront (alizés du sud-sud-est régulier dans la zone) mais les courants de surface ne nous ne seront pas forcément favorables, surtout à la fin du transit… En effet, les prévisions Mercator suggèrent un courant assez variable entre 5°S-5°W et 0°N-0°N qui sont susceptibles, s'ils se vérifient (ce qui montrerait l'efficacité de ce système de prévisions océanographiques), de nous gêner dans notre évolution vers le Nord-Est.


Prévisions de courants de surface pour le 14 juin (vitesses en m/s)
source : Mercator Océan

La suite de la présentation des instruments météorologiques concerne aujourd'hui essentiellement les mesures de la pluie et du contenu en humidité de l'atmosphère. La pluie en mer est un apport d'eau douce pour la surface, et la température de la pluie peut aussi avoir une influence locale non négligeable sur la température de la mer dans les premiers centimètres (la "température de peau" vue par les satellites) ; c'est cette couche qui est en contact direct avec l'atmosphère. Quant à l'humidité dans l'atmosphère, c'est également un paramètre important, car c'est elle qui contribue à alimenter les nuages en s'approchant du continent, poussée par les vents alizés qui soufflent ici du sud vers le nord...

 


Vendredi 9 juin

Aujourd'hui, nous sommes arrivés sur le site de la dernière bouée du réseau PIRATA à remplacer, à 10°S-10°W. La bouée est en parfait état et a bien fonctionné depuis sa mise en place en juin 2005. La bouée était entourée de lignes de pêche (palangres), donc une équipée d'une petite bouée de flottabilité, et il y avait une quantité incroyable de lignes entourées autour du câble, ce qui prenait beaucoup de temps à démêler lors de son relevage. Les conditions météorologiques sont idéales et la mer relativement calme (creux de 1 m à 1,50 m), ce qui a permis de prendre quelques images du navire à partir du zodiac (la mise à l'eau d'un zodiac est nécessaire pour relever une bouée pour deux raisons: a) il serait trop dangereux pour les capteurs, en raison des chocs potentiels, de ramener telle quelle la bouée à bord, et donc ces derniers sont retirés avant son relevage; b) il faut attacher la bouée au navire pour pouvoir la hisser bord; l'utilisation d'une embarcation annexe pour ce faire est donc indispensable).


Transfert des capteurs météorologiques sur le zodiac.
On peut voir aussi sur la gauche le petit flotteur d'une ligne de palangre

Avant le relevage, l'équipage en a profité pour pêcher à la traîne autour de la bouée, et nous aurons donc du thon frais pour quelques jours (nous sommes 60 à bord, 30 scientifiques, 30 hommes d'équipage).

Ce soir, quand la nouvelle bouée sera mise en place, nous nous positionnerons de nouveau en point fixe de 24h, avec des stations d'1/2h face au vent, et des mesures de turbulence océanique toutes les 3 heures.

Enfin, suite (et fin) de la présentation des instruments de mesures météorologiques. Aujourd'hui, ce sont des instruments de notre collègue Erica Key, qui travaille aux Etats-Unis (RSMAS-Miami), et qui est à bord pour mesurer notamment la température de peau de la surface de la mer.

 


Samedi 10 juin

Aujourd'hui, continuation du point fixe, donc on fait des ronds dans l'eau… On se met face au vent à vitesse réduite pendant 1/2 heure, puis on revient à la position initiale et ainsi de suite. Ceci est fondamental pour les mesures acquises à haute fréquence de flux à l'interface air-mer.

Cet après midi, Bernard Bourlès a effectué le quatrième séminaire de la campagne, pour présenter le golfe de Guinée (vent, température, salinité, courants, précipitations), le rôle potentiel de cette région sur la mousson africaine, et les paramètres que l'on étudie pour comprendre la variabilité de la couche supérieure de l'océan.

Ce soir, première soirée détente pour tout le monde… un barbecue est organisé sur le pont arrière, pendant lequel on pourra déguster quelques thons pêchés les jours précédents autour des bouées.

Nous avons reçu des nouvelles des deux autres navires océanographiques (le Meteor des collègues allemands du laboratoire IFM-GEOMAR, de Kiel et le Ron Brown des collègues du laboratoire de la NOAA à Miami. Ainsi, nous sommes désormais trois navires à mesurer les mêmes paramètres et à envoyer en temps réel des mesures par satellite aux centres de données océanographiques et météorologiques, qui les utilisent pour les modèles de prévision. Le Meteor est dans l'ouest, le Ron Brown dans le centre et l'Atalante dans l'est (routes et positions des trois navires le 10 juin). Cela permettra une vision et donc une compréhension à l'échelle globale du bassin Atlantique tropical… On peut dire que c'est la première fois à ma connaissance qu'un tel évènement se produit, fruit d'une longue préparation, de réunions, d'entente et de collaborations scientifiques au niveau international !

 


Dimanche 11 juin

Après un profil hydrologique hier soir (vers 22 h), nous avons commencé le transit de retour vers le nord-est, qui durera 3 jours jusqu'à la position 0-0, où nous repasserons près de la bouée PIRATA remplacée au début de la campagne.

Pendant cette campagne, nous larguons en mer des dispositifs de mesures qui vont dériver à la surface et transmettre en temps réel des informations très précieuses sur les conditions rencontrées en surface et dans la couche supérieure de l'océan. Ces dispositifs sont notamment des bouées de surface de type SVP (Surface Velocity Profilers) et de type Marisonde. Les premiers sont fournis en général par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) des Etats-Unis, dans le cadre d'un programme de recherche et de surveillance opérationnelle de la surface océanique. Toutes les opportunités pour en déployer en mer sont bonnes à prendre (navires de recherche, mais aussi parfois certains navires commerciaux, qui contribuent à aider la recherche océanographique. Pour cette campagne, 10 SVP ont été fournies par la NOAA. Météo-France a également fourni 5 exemplaires de profileurs SVP, munis de baromètres et une équipée d'un capteur de salinité. Les Marisondes ont été élaborées par Météo-France qui en a fourni 12 pour la campagne EGEE 3. Les mesures sont transmises en temps réel en France, et un suivi régulier est effectué par le centre Météo-France de Brest, qui nous envoie par internet les cartes des trajectoires.

 


Lundi 12 juin

Aujourd'hui nous sommes donc en transit vers le nord-est. J'avais tablé sur des vents dominants du sud et des courants de surface vers le nord-nord-ouest pour nous aider… Malheureusement, depuis ce matin, si le vent du sud-est ne nous gène pas trop, le courant lui porte à l'ouest et donc s'oppose à notre route. En, plus, il est fort (1 nœud). En conséquence, au lieu de faire 11 nœuds, nous faisons un peu plus de 10 nœuds en moyenne… Mais cela peut changer demain, car dans les "grands courants" comme le Courant Equatorial Sud que nous traversons, les courants fluctuent autour d'une direction moyenne !

Le temps est beau, la mer un peu formée avec des "moutons", le vent ayant bien forci depuis 24 heures (il est de plus de 20 nœuds aujourd'hui et s'est renforcé au cours de la journée). A bord, il n'y a donc plus de profils à faire puisque nous sommes en transit, et les quarts sont plus reposants. Nous avons quand même la petite séance de "séminaire" quotidien que l'on a organisée lors des transits ou des stations de longue durée (afin que chacun présente ses activités et des thèmes scientifiques en lien avec la campagne). Hier Erica Key (RSMAS-Miami) nous a présenté les mesures aérosols et de flux qu'elle fait à bord, ainsi que celles faites par son laboratoire de par les océans du monde entier, et aujourd'hui c'était Fabrice Hernandez (IRD, Toulouse) qui nous a présenté le projet MERCATOR, dont il a souvent été question les jours derniers et qui nous permet d'avoir des prévisions de l'état de la mer (courants, température, salinité, et autres paramètres calculés). Mais nous procédons aussi à des traitements des mesures effectuées les jours précédents, ou à des visualisations, comme cette section de la température de l'océan, de la surface à 250 m de profondeur, qu'a réalisée Jacques Grelet (IRD-Brest).

 


Mardi 13 juin

Le courant est toujours plein ouest-sud-ouest, et le vent du sud-est, mais un peu moins intense. Notre vitesse de transit vers le nord-est s'est donc un peu améliorée à 10,7 noeuds…

Aujourd'hui, nous avons eu un séminaire sur les mesures de carbone et le rôle de l'océan dans le cycle de ce paramètre fondamental pour l'effet de serre, par Nathalie Lefevre (IRD-LOCEAN). Elle nous a montré les premiers résultats, reçus quotidiennement, de l'appareillage installé sur la bouée PIRATA de 6°S-10°W quelques jours auparavant ; c'est assez impressionnant de voir aussi rapidement après sa mise en œuvre le résultat concret d'un travail de longue haleine… L'ingénieur du CNRS/INSU de Brest, Antoine Guillot, qui a mis au point cet appareil, était heureusement rassuré sur son fonctionnement ! Elle nous a montré aussi un résultat très intéressant sur l'effet de la température de la surface de la mer et le sens des échanges de carbone entre l'océan et l'atmosphère. On sait généralement que l'océan contribue à absorber une grande partie du CO2 rejeté par les activités humaines, mais on sait beaucoup moins que les océans tropicaux, eux, peuvent rejeter du CO2 dans l'atmosphère, venant ainsi contrarier ce bel espoir que l'océan peut jouer un rôle de machine à laver ou d'éponge...

Nous sommes en contact étroit avec l'équipe AMMA chargée des observations aéroportées, car le survol de la mer doit avoir lieu bientôt : les radiosondages sont plus fréquents (toutes les six heures) dernières mises au point des modes de communication avec les avions (par VHF), etc.

 


Mercredi 14 juin

Ce matin, nous sommes repassés près de la bouée PIRATA située à 0°E-0°N, vers 6h du matin. Il est surprenant que deux bateaux qui étaient sur place aient fui dès notre arrivée aux alentours…. Désormais on peut identifier tous les navires de commerce par leur écho radar, mais cela n'est pas obligatoire pour les navires de pêche, et nous n'vons donc pas pu identifier ces deux bateaux ; par contre il est vrai que, vue de loin et surtout de nuit, la silhouette d'un navire de recherche comme l'Atalante peut ressembler à celle d'un navire militaire…On peut donc se poser des questions. Mais tout allait bien, et étant resté sur place pendant deux heures, on a pu voir passer encore un autre cargo : cet endroit n'est donc pas si désert… La bouée, 15 jours après l'avoir installée, était en parfait état, ce qui est l'essentiel !

Cet après midi, un peu de détente. Comme le veulent les traditions, qui peuvent prêter à se détendre de temps en temps surtout sur un navire avec un équipage au plus proche de la perfection, nous avons cet après-midi procédé au "passage de l'équateur" ! Ainsi, 16 personnes à bord (sur 59 au total) n'avaient jamais traversé l'équateur en bateau, et il se doit que Neptune et Amphitrite les "baptisent"… Mais auparavant, les néophytes ont été soumis à improviser une pièce de théâtre, ce qui était très sympathique. Ils ont imité quelques personnages notables à bord du navire pour reproduire avec humour certaines situations vécues à quelques reprises au cours de ces 3 dernières semaines, et ont été…. arrosés comme il se doit !

Plus sérieux. Nous devions être survolés pendant le dernier jour de ce leg par deux avions scientifiques, qui devaient nous rejoindre à partir de la côte. Malheureusement, cela n'a pas été possible en raison des impératifs de part et d'autre, des possibilités météorologiques, et du retour impératif des avions en France à partir du Niger. En fait, ils ont fait leurs survols et mesures ce matin entre Cotonou et 1°N le long de la radiale 3°E (donc au sud de Cotonou), alors que nous étions encore un peu au sud-est de cette position... Nous serons de fait à 1°N-3°E dans la nuite prochaine, soit une quinzaine d'heures après le passage des avions. L'essentiel étant que ce survol ait eu lieu, car il y a en aura un autre le 4 juillet, soit a priori un vol avant et un vol après l'établissement de la mousson.

Sinon, l'air est nettement plus chaud et humide en remontant vers le nord, ainsi que la température de surface de la mer. Nous sommes passés au nord de l'équateur, et donc avant l'installation de l'upwelling à 0°E (nous étions à 10W, soit à 1100 km plus à l'ouest, une dizaine de jours avant alors que les prémices de cet upwelling étaient perceptibles…).

 


Jeudi 15 juin

Depuis hier que nous nous rapprochons des côtes, la couverture nuageuse, l'humidité et la température de la mer augmentent nettement. Toute la journée le ciel a été nuageux à très nuageux. L'écho radar montre des précipitations lointaines et des orages ; dans la soirée nous avons vu des éclairs au large (vers 21h TU). La température de l'air a une tendance régulière à l'augmentation (26,7 à 27,8°C) ainsi que celle de la mer (28,5°C) ;l'humidité est entre 75 et 80 % dans la journée, notamment sous les cellules convectives. Le rayonnement solaire est faible entrecoupé par des épisodes inférieurs à 200 W/m2 dans le courant de l'après midi. Le vent est lui aussi faible (sud-ouest 7-8 m/s), perturbé par des rotations nord-ouest faiblissant dû à la convection proche.

Sur l'image du jour, vous voyez la température de surface de la mer telle qu'elle a été mesurée par satellite le 10 juin 2005 (pendant la 1ère campagne du programme, EGEE 1) et le 10 juin 2006, soit il y a quelques jours pendant cette campagne. Les différences sont impressionnantes :


10 juin 2005


10 juin 2006

 

Comme on le voit, en 2005 les eaux côtières étaient sensiblement plus fraîches (entre 27 et 28°C) tandis que cette année elles sont supérieures à 29°C ! Le plus impressionnant est surtout la température des eaux dans le sud du golfe de Guinée et le long de l'équateur, qui était en 2005 de l'ordre de 23 à 24°C tandis qu'elles sont supérieures à 25°C cette année… Dans l'est équatorial, on passe même de 22°C à 27°C ! Il serait surprenant que de telles différences d'une année à l'autre n'aient pas de conséquence sur la dynamique de la mousson. Ainsi, il est clair que le régime des pluies le long des côtes du golfe de Guinée est très différent par rapport à l'an dernier… Et l'an dernier, il y eut des pluies intenses au Niger, au Mali, au Sénégal, donc dans les régions sub-sahéliennes, alors qu'elles étaient faibles le long des côtes. Je n'en dirais pas davantage sur ce sujet, car il faut savoir que d'autres paramètres entrent en jeu et je ne voudrais pas faire croire que l'océan a un rôle fondamental sur la mousson africaine dans son ensemble, c'est-à-dire lla saison des pluies telle qu'elle est perçue le long des côtes du golfe de Guinée et dans le sub-Sahel. La nature du sol et les échanges sol-air sur le continent, les systèmes météorologiques convectifs (nuageux) venant de l'est, ont eux aussi un rôle essentiel dans les régions sub-sahéliennes. Il est difficile de faire la part des choses, et c'est notre rôle dans le cadre de ce programme AMMA. Mesurer tous les paramètres, qu'ils soient océaniques, continentaux, atmosphériques,… tout a un rôle, même peut-être la température de l'eau en Méditerranée joue un rôle sur la mousson africaine ! Le tout est de comprendre comment tous les processus s'enchaînent, se combinent, s'entremêlent, … On en a pour quelques années à analyser toutes ces mesures acquises pendant les trois années 2005-2007 "extensives" du programme AMMA, et surtout pendant cette année 2006 de mesures "intensives" !

Des nouvelles des deux autres navires océanographiques qui participent au projet EGEE en même temps que nous. Le Meteor a repris la route après son escale à Fernando de Noronha, où ils ont pu finalement récupérer le matériel manquant au départ de Recife (Brésil). Ils sont donc actuellement en route pour 23°W, sans aucune station CTD/LADCP pendant ce transit. Quant au Ron Brown, il est actuellement dans l'hémisphère sud le long de 23°W. Mardi 13 juin, ils ont remplacé la bouée ATLAS du réseau PIRATA à 23°W-équateur. La bouée relevée avait manifestement reçu un impact conséquent, car plusieurs instruments météo étaient cassés ou manquants. La bouée déployée comporte en plus des capteurs habituels un capteur de radiations onde longue et un baromètre. Après le déploiement, ils ont fait une CTD et ont déployé 4 bouées dérivantes SVP au même point (étude d'intercomparaison de bouées réalisées par des fournisseurs différents).La coopération entre les équipes PIRATA est au summum, car cette bouée est sous responsabilité de la France. Cette situation étant lointaine, (en plein centre du bassin) le remplacement annuel de cette bouée pose souvent problème (temps navire). Donc merci ! De même, le Meteor remplacera dans quelques jours le mouillage PIRATA courantométrique situé au même endroit... Sur le plan des 3 campagnes, on peut voir que ces deux navires passeront vraiment très près l'un de l'autre...

Nous remontons donc vers Cotonou, où nous arriverons demain après midi pour une escale de plus de deux jours. La campagne reprendra lundi 19 juin, à 8h TU… jusqu'au 5 juillet.


Vendredi 16 juin

Plus nous approchions des côtes, plus la couverture nuageuse est devenue importante, ainsi que l'humidité, la température (air et mer) ; la salinité de surface de la mer, elle, décroît sensiblement, tandis que les eaux sont de plus en plus turbides. Cela est la signature d'une forte activité pluvieuse sur les côtes nord du golfe de Guinée ces derniers temps, la turbidité venant des alluvions des décharges fluviales, elles-mêmes alimentées par les précipitations. Ainsi, nous avons observé une couche d'eau dessalée de près de 1 5m d'épaisseur lors des derniers profils, avant d'arriver à Cotonou, où nous sommes arrivés à 16h30 TU (17h30 locale, soit 18h30 en France).

Pour arriver au port, le navire est généralement obligé de demander l'assistance de ce que l'on appelle le "pilote", soit un marin du port qui arrive sur le navire avec l'embarcation officielle au large et qui guide les opérations pour pouvoir accéder au quai, via le chenal du port. C'est ce qu'il s'est passé aujourd'hui, et le pilote était parfaitement à l'heure au point de rendez-vous. Ce service est naturellement payant, mais, d'une manière générale, un accès dans l'enceinte d'un port que l'on ne connaît pas n'est pas chose a priori évidente… Une fois arrivés au port, le commandant du navire et les officiers sont soumis à de nombreuses démarches administratives. Comme lorsqu'on arrive par avion dans un pays, en arrivant du large par navire il faut montrer "patte blanche"… : donc, sur un navire il faut attendre à bord les douanes et les autorités portuaires, et tous leurs contrôles d'usage, avant que quiconque ne puisse sortir descendre à terre. Puis il faut refaire les vivres, le plein de fuel, la lingerie..., donc les escales ne sont pas de tout repos pour tout le monde !

Cet après midi, pendant que le navire accostait et que les démarches se faisaient, nous avons procédé à un petit "topo" général sur cette première partie de campagne, qui il faut le dire, a été un grand succès ! Tous les objectifs ont été remplis (ou quasiment, un seul profil CTD sur 40 ayant du être annulé sur la fin), tous les appareils ont fonctionné parfaitement, toutes les opérations de déploiement de profileurs, bouées de surface, interventions sur bouées PIRATA, etc., se sont déroulées sans aucun problème, et ce dans tous les délais prévus…

Avant de passer la main pour la suite de la campagne à mon ami et collègue Yves Gouriou (IRD-Brest), qui a supervisé toutes les opérations hydrologiques et courantométriques et m'a grandement aidé et assisté tout le long de cette première partie, je tiens à faire savoir l'importance de l'esprit de solidarité sur un navire. Une campagne comme celle-ci s'organise longtemps à l'avance pour tous les aspects scientifiques et matériels, mais elle ne pourrait avoir lieu sans :
- les marins (commandant, officiers, hommes de pont, des moteurs et machines, électroniciens, mécaniciens, matelots, cuisiniers, nettoyeurs, garçons… );
- les électroniciens, sans qui tous nos appareils nous paraîtraient parfois aussi incompréhensibles qu'un hiéroglyphe, et qui sont capables de réparer un appareil ou une connexion, intervenir sur un problème informatique etc. et ce quelle que soit l'heure du jour et de la nuit ;
- tous les ingénieurs et techniciens qui travaillent par quart mais en disponibilité permanente pour surveiller leurs chaînes d'analyse
- ceux et celles qui font des quarts et aussi travaillent entre ces quarts pour faire du traitement de données…
- les personnes qui n'avaient jamais embarqué (étudiants, partenaires de pays africains du Bénin, Togo, Ghana, Côte d'Ivoire…) et qui ont compris l'esprit de travail en équipe dans un espace confiné et ont contribué aux travaux et à la récolte de données…
...bref, tout le monde à bord ! C'est pourquoi, même si cela peut paraître désuet, il est important d'immortaliser par une photo l'équipe qui a travaillé ensemble pendant plus de 3 semaines. Voici cette photo pour la première partie, qu'il fallait faire car environ 1/3 de l'équipe va changer pendant cette escale !

 
 
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