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500 ans d'observation scientifique de l'océan

Les particularités des basses latitudes :
du « pot-au-noir » à la dynamique équatoriale

Les premiers Européens à franchir l'équateur par voie maritime furent les Portugais vers 1470 ; dans les décennies qui suivirent, les explorations se multiplièrent, et les mers tropicales devinrent plus familières pour les navigateurs. A bien des égards, ces régions de basses latitudes leur paraissaient cependant très particulières, avec la succession des alizés de nord-est, des calmes équatoriaux puis des alizés de sud-est, avec la traversée éprouvante et incertaine du "pot-au noir" dans une chaleur moite et lourde, et avec la disparition progressive de l'étoile polaire sous l'horizon.

Très rapidement, les récits des explorateurs publiés à la fin du 16° siècle firent apparaître l'existence d'une circulation générale vers l'ouest sous les Tropiques, attestée dans l'Atlantique comme dans le Pacifique. Cette observation, confirmée ensuite par tous les explorateurs et scientifiques, fut au centre d'un long débat sur l'origine de la circulation océanique générale, qui ne prit fin qu'au cours du 19° siècle. C'est à cette même période qu'il fut reconnu que cette circulation équatoriale était constituée de deux courants parallèles situés de part et d'autre de l'équateur, et non d'un courant unique comme l'avaient mentionné toutes les observations et les cartes publiées jusque là.

Pourtant, depuis les premières navigations tropicales, des observations ponctuelles faites dans différents domaines avaient laissé entrevoir une particularité certaine des parages de l'équateur, sans qu'il soit possible d'expliquer ou même de confirmer des faits qui venaient parfois contredire les théories dominantes acceptées à l'époque.

Ainsi les voyageurs qui longeaient la côte africaine avaient tôt fait de remarquer que dans certaines régions tropicales le courant portait vers l'est c'est-à-dire à l'opposé des courants dominants. Ce fut le cas de ce navire britannique de Sir Hawkins qui, pensant être au très large, se retrouva en vue des côtes de Guinée en 1593. Il fallut attendre les progrès de la détermination de la longitude, à la fin du 18° siècle, pour en savoir plus sur la réalité de ces courants portant dans le sens opposé aux courants et aux vents dominants. Par exemple, entre 1800 et 1810, le Russe Krusenstern et l'Allemand Humboldt les évoquent très clairement dans l'Atlantique, mais on les considérait alors plutôt comme des perturbations du courant équatorial ou des extensions de l'origine du courant de Guinée qui longe les côtes africaines vers l'est. Avec la multiplication des observations et l'établissement de synthèses cartographiques comme celle de M. Maury en 1855, il devint évident qu'il s'agissait de structures à la fois permanentes et couvrant toute l'étendue des bassins océaniques le long de l'équateur. Il restait encore en en expliquer le mécanisme physique, ce qui ne fut possible qu'au cours de la seconde moitié du 20° siècle, à l'ère de l'océanographie dynamique moderne.

Un autre aspect de cette "singularité équatoriale" portait sur les propriétés physico-chimiques de l'eau de mer. En dépit de l'idée, courante jusque là, que la mer est de plus en plus salée au fur et à mesure qu'on s'approche de l'équateur, des mesures ont montré à la fin du 17° siècle que la salinité de surface augmentait effectivement, mais atteignait son maximum vers 30°N pour se stabiliser ensuite. Ce schéma a été précisé au début du 19° siècle avec la mise en évidence d'un minimum de salinité à l'équateur et de deux maxima situés à quelques degrés de part et d'autre. C'est à partir de cette époque que d'autres observations furent faites de façon répétée sur la température de l'eau sous la surface. Malgré les biais dus à l'effet de la pression sur les thermomètres, qui ne fut systématiquement prise en compte que très tardivement, les mesures de température profondes firent partout apparaître une remontée de l'eau froide vers la surface au voisinage de l'équateur. Ce mouvement ascendant, maintenant connu sous le nom d'"upwelling équatorial", était considérée comme la compensation de la perte d'eau de surface due à l'intense évaporation (pour Dumont d'Urville, en 1833) ou à la circulation vers les pôles (pour Lenz, en 1845).

La dernière découverte majeure sur les particularités équatoriales fut celle de sous-courants, qui circulent en profondeur et là encore dans le sens contraire à la circulation générale. Il est probable qu'au 18° et au début du 19° siècle des navires aient effectué des sondages qui auraient pu le rencontrer, mais l'imperfection des moyens d'investigation et le poids des idées dominantes sur la circulation océanique (comme pour le contre-courant profond du détroit de Gibraltar , dont l’existence resta très longtemps contestée malgré les observations) n'auraient sans doute pas conduit à leur identification. C'est en 1876 (lors de l'expédition du Challenger) puis en 1886 (sur le Buccaneer) que Y. Buchanan découvrit dans l'Atlantique l'existence totalement insoupçonnée d'une veine de courant portant vers l'est à environ 30 m sous la surface, grâce à la forte inclinaison des câbles supportant les instruments de mesure. Curieusement, cette observation fut totalement oubliée jusqu'à la redécouverte fortuite en 1952 d'un sous-courant identique dans le Pacifique, où l'attention fut attirée par la dérive vers l'est de palangres à thons mouillées entre 50 et 100 m de profondeur à proximité de l'équateur. Des mesures plus ciblées à l'aide de flotteurs immergés (drogues) montrèrent bientôt que ce courant s'écoulait à la vitesse d'un nœud (environ 50 cm/s) dans une étroite bande comprise entre l'équateur et 2°N, et entre 50 et 200 m sous la surface. Une dizaine d'années plus tard, un sous-courant équatorial était également décrit dans l'Atlantique et l'océan Indien.

A la fin du 19° siècle, les grands traits de la "singularité équatoriale" étaient donc décrits, mais restaient encore en grande partie inexpliqués. Les deux causes principales en étaient pourtant déjà connues, mais ce n'est que bien plus tard qu'elles ont pu être intégrées dans un cadre théorique global et cohérent qui en fit comprendre toute l'importance.

La première raison est que les régions équatoriales sont celles qui reçoivent le plus d'énergie de la part du Soleil, avec d'importantes conséquences pour l'atmosphère et l'océan. Dans les "zones torrides" des premiers explorateurs, l'élévation de l'air plus chaud donc moins dense constitue un des moteurs principaux de la circulation atmosphérique ; à la suite de divers précurseurs, E. Halley (dont les intérêts ne se limitaient pas au ciel et aux comètes) avait décrit en 1676 le principe des alizés. En ce qui concerne l'océan, les principaux mécanismes avaient déjà été identifiés : rôle des vents sur les courants de surface (explicité pour les alizés par W. Dampier en 1699), principes de la circulation thermohaline liée à la densité de l'eau de mer (donc en particulier à sa température), transport de chaleur de basses vers les hautes latitudes, etc.

La deuxième raison est que l'équateur géographique est en lui-même un lieu particulier parce que la force de Coriolis (qui traduit l'effet de la rotation de la Terre sur les corps en mouvement à sa surface) y prend une valeur nulle. Le Français Coriolis formalisa cette loi en 1822, mais ses conséquences sur la dynamique de l'océan au voisinage de l'équateur n'en furent comprises que dans le derniers tiers du 20° siècle.

A partir des années 1960, en effet, la communauté scientifique s'intéressa de plus en plus à la dynamique équatoriale et à sa variabilité temporelle. L'Atlantique tropical fut dans les années 1970 et 1980 le laboratoire de plusieurs grands programmes internationaux (Gate, Focal, Sequal) qui apportèrent d'importantes moissons de résultats sur les mécanismes responsables des courants, sous-courants et contre-courants, la découverte de différentes types d'ondes océaniques guidées par l’équateur à travers les bassins océaniques, la mise en relation du contre-courant équatorial avec la remontée des eaux froides (élévation de la thermocline) en fonction du vent, etc. Les résultats obtenus dans l'Atlantique étaient applicables à l'ensemble de l'océan tropical, et ces recherches furent relayées par celles qui commençaient à se développer dans le Pacifique en réponse à la découverte de l'importance planétaire de son oscillation atmosphérique et océanique connue sous le nom d’ENSO (El Nino Southern Oscillation), dans lesquels les mécanismes de la dynamique équatoriale jouent un rôle essentiel.

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