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500 ans d'observation scientifique de l'océan

Prendre la température de la mer :
la longue histoire des thermomètres océanographiques

Le fait que l'eau de surface soit plus ou moins chaude selon les saisons et les régions n'a évidemment pas échappé aux premiers navigateurs. Certains d'entre eux avaient même remarqué qu'en profondeur l'eau était plus froide puisqu'on pouvait y mettre le vin à rafraîchir en suspendant la bouteille au bout d'une corde… Cependant aucune mesure ne fut possible avant l'invention des premiers thermomètres scellés au milieu du 17° siècle.

Fondée en 1660, la Royal Society de Londres a joué un rôle considérable dans de nombreux domaines de la science ; pendant ses toutes premières années, les sciences de la mer y ont fait l'objet d'une attention toute particulière. Certains de ses membres, qui figuraient parmi les esprits les plus brillants de l'époque en Angleterre, s'intéressèrent à l'amélioration des thermomètres et furent les premiers à en plonger sous l'eau, d'abord dans la Tamise puis en mer.

Si la mesure de la température de l'eau de surface ne posait pas de problème, celle de l'eau plus profonde a connu jusqu'à la fin du 19° siècle une histoire trouble car elle se heurtait sans cesse à plusieurs types de problèmes.

Tout d'abord, il fallait que la lecture du thermomètre, une fois celui-ci remonté à bord, traduise la température de la profondeur à laquelle on l'avait descendu, et pas celle des couches traversées lors de sa remontée. Les premières expériences consistaient à le remonter très rapidement puis à en faire la lecture immédiatement. Une autre solution était de remonter un volume d'eau et à en mesurer la température sur le bateau ; mais l'eau pouvait se réchauffer en remontant, et surtout les récipients employés étaient loin d'être étanches et la température lue à l'arrivée ne correspondait souvent pas à grand-chose.

Une étape importante fut franchie en 1782 avec l'invention par J. Six du thermomètre minimum-maximum en forme de U. Dans tous les cas où la température décroît de façon continue avec la profondeur (ce qui est assez généralement le cas en mer), il permettait une mesure de la température du point le plus bas atteint par le thermomètre. Ce modèle fut utilisé jusqu'aux années 1870, malgré quelques tentatives de mise au point ou d'utilisation de thermomètres métalliques. C'est un Français, G. Aimé, qui inventa en 1845 un thermomètre dit "à renversement" utilisable en toute situation (mais dont l'usage ne se répandit qu'une trentaine d'années après). Déclenché à la profondeur désirée par un poids coulissant sur le câble (le "messager"), ce renversement avait pour effet de couper la colonne de mercure au niveau d'un étranglement du tube de verre, ce qui en stabilisait le niveau et permettait la lecture ultérieure.

Le deuxième problème de la mesure de la température en profondeur était celui de l'effet de la pression sur les thermomètres : une fois immobilisé à la profondeur voulue, le niveau de liquide (alcool, mercure) contenu dans le thermomètre était-il, en plus de la température, influencé par la pression ambiante ? Si oui, les lectures de température profonde étaient biaisées, et il fallait appliquer une correction dépendant de la profondeur. Cette question fondamentale fut posée dès le début par R. Boyle de la Royal Society, qui fit en 1671 une expérience démontrant le rôle de la pression. Mais elle resta étrangement ouverte au débat pendant très longtemps, alors que tous les éléments permettant d'en juger de façon définitive avaient été identifiés. Les deux opinions opposées sur le rôle de la pression eurent cours parallèlement pendant plus de 200 ans et, lorsqu'ils étaient utilisés, les dispositifs destinés à protéger les thermomètres de la pression étaient peu ou pas efficaces. La confusion était donc grande, et sa dissipation se heurtait en outre à d'autres facteurs non techniques.

D'une part, le poids des théories scientifiques dominantes ne conduisait pas toujours à des attitudes très rigoureuses. Ainsi Dumont d'Urville, de retour du voyage de l'Astrolabe, publia en 1833 les mesures de ses thermomètres non protégés après avoir pourtant constaté et écrit lui-même que "les deux colonnes de mercure avaient fini par indiquer une température beaucoup trop élevée". D'autre part, faute d'une vraie communauté scientifique (qui n'apparut qu'au 20° siècle en océanographie) la transmission des idées et des expériences était peu efficace. Alors qu'une nouvelle démonstration expérimentale de l'effet de la pression fut publiée en 1833, et que l'inadéquation des thermomètres non protégés avait été clairement indiquée aux organismes gouvernementaux britanniques, ils étaient parfois encore mis en service dans les années 1860.

Ces deux problèmes de la mesure de la température en profondeur ne furent résolus qu'en 1874, lorsqu'on embarqua des thermomètres protégés à renversement à bord du Challenger lors de sa fameuse expédition autour du monde (1872-76), en remplacement de thermomètres de type mini-maxi. Issus de l'invention d'Aimé (mais attribués à d’autres « inventeurs »), ces thermomètres et leurs améliorations successives furent utilisés avec succès jusqu'à ce que l'électronique offre de nouvelles perspectives (un dispositif d'enregistrement continu reposant sur un principe mécanique, le bathythermographe, fut inventé en 1937 et abandonné depuis).

Après l'ère des thermomètres vint donc l'ère des mesures électroniques aboutissant aux thermistances, semi-conducteurs dont la résistance électrique varie rapidement et de façon prévisible selon la température, permettant ainsi sa mesure en continu.

Ces capteurs thermiques ont été utilisés de façon très régulière sur de nombreux types d’instruments, et ils ont pratiquement renvoyé les thermomètres au magasin des accessoires d’autrefois. On les retrouve dans une variété d’instruments qui ont chacun leurs conditions d’utilisation :

Mises au point dans les années 1970, les sondes CTD associent des capteurs de conductivité (C, permettant la mesure de la salinité), de température (T) et de pression (D, permettant la mesure de la profondeur). Elles sont très largement utilisées depuis 1970 pour réaliser des profils verticaux en station, c’est-à-dire en un point où le navire est à l’arrêt, avec d’autres équipements de prélèvement d’eau ou de courantométrie.

Les sondes XBT (eXpandable BathyThermograph, mis au point en 1963) sont des dispositifs permettant de réaliser des profils thermiques verticaux à partir d’un navire en route. Un ogive de plomb supportant le capteur est lâchée depuis le bateau et descend verticalement à vitesse constante. Pendant la descente, le signal électrique du capteur est envoyé à bord par un fil de cuivre très fin qui se dévide sans faire obstacle à la descente, avant de se rompre lorsqu’il est tendu. Des milliers de profils thermiques continus de plusieurs centaines de mètres de profondeur sont ainsi recueillis chaque année sur les principales lignes de navigation par un réseau de navires marchands volontaires, permettant ainsi une couverture large et régulière de la structure thermique verticale de l’océan.

Des capteurs thermiques sont installés sur différents supports autonomes, fixes ou dérivants, et couplés à une centrale électronique reliée à un émetteur qui assure via une liaison par satellite la transmission périodique des données à des centres de réception à terre. C’est le cas des bouées météo-océanographiques fixes des réseaux TAO et PIRATA, qui couvrent les régions tropicales du Pacifique et de l’Atlantique. On trouve aussi ces capteurs sur les différents modèles de profileurs, bouées dérivantes à flottabilité variable qui enregistrent des paramètres du milieu au cours de leurs déplacements verticaux avant de les transmettre par satellite quand ils font surface.

Une troisième ère de la mesure de la température de la mer s’est ouverte avec l’apparition des satellites équipés de radiomètres à infrarouge. Ces capteurs mesurent le rayonnement infrarouge émis par la surface de la Terre (continents, océan, nuages, glaces) selon sa température. Depuis Tiros-N, lancé en 1978, tous les satellites météorologiques sont munis de capteurs AVHRR (Advanced Very High Resolution Radiometer). Ces satellites à orbite polaire permettent de mesurer la température de surface sur l’intégralité de la surface océanique, mais n’apportent aucune information sur le contenu thermique des couches océaniques sous-jacentes : les thermistances ont encore de beaux jours devant elles !

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