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500 ans d'observation scientifique de l'océan

Le sel de la mer : salinité et densité,
méthodes de prélèvement, chimie et électronique

La première expérience que l'homme a pu faire de la mer est certainement son goût salé qui, en rendant son eau impropre à la boisson et à la cuisine, la différencie de toutes les autres sources d'eau (rivières, lacs,…) autour desquelles les sociétés se sont organisées. Dans toutes les civilisations côtières, l'origine du sel de la mer a fait l'objet de mythes puis, à partir de l'Antiquité européenne, d'explications de type scientifique comme celles d'Aristote ou de Pline, qui avaient en commun de suggérer que l'eau n'était salée qu'en surface ; ce sera l'une des questions qui intéressa les savants de la Renaissance.

Sans autre instrument de mesure que le goût, il fut facile pour les premiers voyages de montrer que la mer est salée à toutes les latitudes, ce qui était important pour discuter des théories reposant sur l'évaporation de l'eau de mer, mais insuffisant pour vérifier l'opinion, courante au 17° siècle, qu'elle est plus salée à l'équateur.

Dans les années 1660, la mesure des variations horizontales et verticales de la salinité fit partie des sujets d'étude encouragés par la toute nouvelle Royal Society de Londres. Deux méthodes étaient envisagées : la détermination du poids total d'un volume donné d'eau, et celle du dépôt restant après évaporation totale de son eau. Pour remonter sur le navire de l'eau provenant des profondeurs, on imaginait un système de pompage. Ces deux aspects techniques (prélèvement d'eau et mesure de la salinité) vont rester étroitement liés tant qu'il ne sera pas possible de mesurer la salinité in situ, et les imperfections de l'un vont évidemment se répercuter sur la qualité de l'autre.

Très rapidement, la mesure de la salinité fut largement délaissée au profit de la mesure directe de la densité ("gravité spécifique"), grâce à l'amélioration de l'hydromètre ; cet instrument utilisant le principe de la poussée d'Archimède était connu depuis longtemps mais avait été amélioré à l'époque par R. Boyle, savant anglais aux activités diverses mais très intéressé par les sciences de la mer. Ce choix méthodologique, dicté par la difficulté d'obtenir un résidu de sel parfaitement sec pour la pesée et sans doute aussi par des considérations pratiques, eut comme conséquence de conduire les savants à s'intéresser plutôt à la densité qu'à la salinité. Celle-ci restait mesurée occasionnellement de façon directe, mais ne fut pas accessible de façon fiable par la densité avant environ un siècle. Les premières tables de conversion densité-salinité, publiées en 1770, étaient établies à température constante ; peu après, les expériences de Lavoisier et de Cavendish tenaient compte de ce facteur essentiel de la densité. Le deuxième voyage de Cook (1772-75) en vit la première utilisation. L'intérêt ainsi accordé à la densité pendant toute cette période ne fut peut-être pas étranger aux débats qui s'ensuivirent sur le rôle de cette propriété de l'eau de mer sur la circulation océanique.

Mais les mesures de densité ou de salinité n'étaient pas pour autant toujours fiables, car pendant plus de deux siècles il fut impossible d'être sûr de l'origine réelle de l'eau prélevée en profondeur. Le pompage envisagé par la Royal Society ne fut sans doute jamais utilisé, et on lui préféra un système destiné à remonter sur le navire un volume d'eau prélevée à la profondeur souhaitée. Un récipient cylindrique était muni à ses extrémités supérieure et inférieure de clapets ouvrant vers le haut. Lorsqu'il était descendu dans l'eau, les clapets restaient ouverts et l'eau s'écoulait librement à travers le récipient ; à la remontée, la pression faisait fermer les clapets et l'eau contenue à la profondeur la plus basse restait emprisonnée. Conçu de façon indépendante en France et en Angleterre dès les années 1660, le principe de ce système de prélèvement d'eau de mer (refermer un récipient à une profondeur donnée) n'a jamais été abandonné ; seuls le mécanisme de fermeture, les dimensions et les matériaux distinguent les bouteilles utilisées par les océanographes du 21° siècle des premiers seaux aménagés par les savants de la Royal Society.

Ce sont précisément ces caractéristiques qui étaient le point faible de ces dispositifs car le récipient et surtout les clapets n’étaient pas parfaitement étanches, condition pourtant nécessaire pour être certain que les mesures faites à bord portent sur l'eau de la profondeur souhaitée, et non pas sur un mélange avec l'eau des couches traversées pendant la remontée. Cet obstacle technique ne fut levé qu'à la fin du 19° siècle, après avoir contribué pendant des décennies à ralentir la progression de la connaissance de l'océan profond.

En 1910, le Norvégien F. Nansen améliore différents modèles existants et met au point la bouteille de prélèvement qui restera en usage jusque dans les années 1970 ; la "bouteille Nansen" est un cylindre métallique dont les extrémités se referment lorsqu'un "messager" poids coulissant sur le câble, déclenche le basculement vertical de la bouteille. A partir de 1966, elle est peu à peu remplacée par la "bouteille Niskin", dont le matériau synthétique garantit l'absence d' interaction chimique avec les constituants de l'eau de mer, et qui se ferme sans basculement. Cette disposition fixe permet d'obtenir des prélèvements de plus grand volume et de simplifier le travail en station en regroupant toutes les bouteilles sur un même châssis (la "rosette"), la fermeture de chacune d'entre elles étant déclenchée par un signal électrique envoyé depuis le navire selon les profondeurs d'échantillonnage désirées.

Alors que les problèmes techniques de prélèvement trouvaient enfin leur solution, la définition chimique stricte de la salinité était établie et sa mesure exacte devenait possible grâce aux progrès de la chimie puis à l'électronique. En 1903, un titrage chimique mis au point par le Danois Knudsen permit de déterminer indirectement la salinité, par comparaison avec une "eau standard", référence préparée par le Laboratoire Hydrographique de Copenhague. En 1930 apparaissent les premiers salinomètres de laboratoire, qui reposent sur le principe que la conductivité électrique de l'eau dépend de sa teneur en sels dissous ; à partir des années 1950, ces appareils remplacent progressivement la technique de titrage chimique. Le principe de la mesure de la conductivité s'étend aux dispositifs électroniques universellement employés aujourd'hui, notamment la sonde CTD (Conductivity-Temperature-Depth), les thermosalinographes installés sur les navires de recherche et de nombreux cargos, les bouées fixes ou dérivantes, etc.

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