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500 ans d'observation scientifique de l'océan

Echelles de temps et d’espace :
des mesures ponctuelles à la vision globale des océans

La notion de variabilité fait partie de l'expérience la plus communément partagée en matière de météorologie : chacun sait qu'il ne fait pas le même temps dans tous les lieux d'une même région, et que le temps qu'il fait en un même lieu varie au fil des jours, des saisons et des années. De même, on fait aisément la différence entre l'échelle du temps qu'il fait (un jour donné et en un lieu donné), et celle du climat moyen de la région. Si ces notions font désormais partie des problématiques majeures de l'océanographie, il n'en a pas toujours été ainsi, au moins au-delà de ce qui est immédiatement perceptible à un observateur situé sur le rivage, comme les cycles des marées ou des saisons.

L'immensité de l'océan et les difficultés pratiques de son étude ont eu pour conséquence que sa description et la compréhension de son fonctionnement se sont progressivement élaborées au fil des siècles à partir des observations et des mesures ponctuelles réalisées dans toutes les mers du monde par une multitude de navigateurs, de savants et de chercheurs. C'est ainsi que furent réalisées les synthèses qui marquèrent l'histoire de l'étude de l'océan, depuis l'œuvre des précurseurs comme P. Martyr d'Anghiera au début du 16° siècle jusqu'au premier atlas hydrographique mondial de M. Maury en 1855 et à la magistrale somme sur les océans publiée par Sverdrup en 1942.

On abordait donc la deuxième moitié du 20° siècle avec une connaissance relativement détaillée des différents bassins océaniques et des grands traits de leur structure hydrologique et courantologique. Cependant cette connaissance résultait de la juxtaposition d'observations faites en des points presque toujours très espacés les uns des autres, et à des dates très différentes au sein de périodes qui couvraient plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Aussi élaborées soient-elles, ces représentations ne pouvaient pas décrire les structures observées (et notamment les courants) autrement que par leurs caractéristiques géographiques générales, et reposaient sur l'hypothèse implicite que le système océanique était stable au cours du temps. C'est cette vision d'un "océan moyen" qui a été battue en brèche par les apports d'autres disciplines comme la météorologie, par des observations des océanographes, et par les découvertes issues des nouveaux moyens d'observation.

Un premier changement d'échelle a eu lieu dans l'immédiat après-guerre dans l'Atlantique ouest. Connu depuis le troisième voyage de Christophe Colomb et représenté par B. Franklin en 1777, le Gulf Stream a été vu de façon radicalement différente à partir des années 1950, quand les techniques disponibles en ont permis une cartographie à la fois fine et rapide. Grâce au bathythermographe (inventé en 1937) et au système de radio-positionnement LORAN (mis au point pendant la guerre), il est en effet apparu non plus comme un flux diffus, large et régulier, mais comme un courant étroit et rapide au cours sinueux et changeant, dont les méandres se referment parfois en créant des tourbillons circulaires autonomes.

La généralisation des instruments permettant une mesure directe et instantanée des courants (courantomètres, ADCP) puis l'apparition de l'altimétrie satellitaire contribuèrent aussi à révéler, à peu près partout dans l'océan mondial, des schémas de circulation à une échelle plus fine que ce que les méthodes indirectes utilisées jusque là pouvaient détecter. Depuis les années 1970, on sait désormais que la très grande partie de l'énergie cinétique de la circulation océanique est associée non pas aux grands courants moyens mais à des courants variables et des tourbillons. Cette turbulence dite de "méso-échelle" est caractérisée par son ordre de grandeur de dimensions (une centaine de km) et de longévité (une centaine de jours).

De façon générale, les progrès technologiques reposant sur l'électronique ont été une des clés de ce changement de perspective en permettant des mesures en continu, seules capables de traduire des variations plus locales ou rapides des caractéristiques de l'océan, et ce le long d'un trajet horizontal (et plus seulement aux seules stations d'arrêt du navire), d'un profil vertical (et plus seulement aux seules profondeurs d'immersion d'appareils) ou même de toute une surface. Parmi les exemples les plus remarquables figurent l'ADCP (mesure des courants), les sondes CTD (mesure de la température et de la salinité), et les capteurs embarqués sur des satellites (couverture globale de différents paramètres à la surface de la mer).

Une des voies principales par lesquelles la variabilité temporelle s'est invitée dans les conceptions de l'océan fut le phénomène El Niño. Cette situation locale n'a longtemps été connue que des pêcheurs péruviens dont il perturbait régulièrement l'activité, mais on découvrit dans les années 1950 l'existence d'anomalies de température dans la partie centrale du Pacifique, très loin des régions côtières d'Amérique du sud où se manifeste El Niño. Une trentaine d'années auparavant, un officier britannique en poste aux Indes, Sir G. Walker, avait compilé des décennies de statistiques météorologiques sur l'Indo-Pacifique pour tenter de comprendre la variabilité de la mousson, et avait identifié un cycle d'oscillation climatique couvrant l'ensemble du bassin pacifique. En 1969, J. Bjerknes relia ces observations océanographiques et météorologiques, et l'ensemble fut désormais connu sous le nom d'ENSO (El Niño - Southern Oscillation). Cette découverte et les travaux qui l'ont suivi eurent d'innombrables répercussions scientifiques, l'une d'entre elles étant la prise de conscience que les océans ne connaissent ni stabilité ni état d'équilibre mais sont en perpétuelle évolution, à des échelles de temps et d'espace très variables.

Il s'est ainsi produit en quelques décennies le passage d'une conception globale et moyenne de l'océan à une conception très fine et très dynamique. Assez curieusement, cette évolution s'est faite dans le sens contraire de celle qu'a connu la découverte de l'atmosphère, où la connaissance du temps est arrivée bien avant celle du climat.

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