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500 ans d'observation scientifique de l'océan

Les acteurs de la connaissance des océans : explorateurs, savants et chercheurs

L'histoire des sciences n'est pas seulement celle des idées, des théories et des observations : c’est aussi celle des individus, des institutions et des cultures. Si l'on excepte les approches de l'Antiquité et du Moyen-Âge qui relevaient plus de la philosophie que de la science, l'histoire de la découverte scientifique de l'océan couvre cinq siècles. C'est en effet pendant la Renaissance que furent remplies les conditions d'un renouvellement des interrogations de l'homme sur la mer : d'une part, un essor intellectuel général marqué notamment par un intérêt croissant pour l'observation et l'expérience, d'autre part le début d'une ère sans précédent d'exploration maritime et donc d’observations sur toutes les mers du monde.

Ces hommes qui se sont intéressés à la mer furent des navigateurs, des philosophes, des savants, des scientifiques, des chercheurs. Depuis les premiers explorateurs portugais et espagnols jusqu’aux voyages du 18° siècle, les marins, attachés avant tout à la sécurité et la rapidité de leurs navires, ont surtout joué un rôle d’observateurs de terrain fournissant des éléments à d’autres acteurs qui les croisaient, les interprétaient, les publiaient sous forme d’ouvrages. Pendant la Renaissance, ces auteurs étaient le plus souvent des philosophes éloignés de la réalité maritime et moins soucieux de l’interprétation de faits et d’observations que de la discussion ou la défense de visions théoriques de l’univers. A partir du 17° siècle, les constructions théoriques élaborées à partir d’observations ou d’expériences ont peu à peu supplanté les conceptions de la mer souvent héritées en partie de l’Antiquité ou du Moyen-âge, même si celles-ci mirent un certain temps à disparaître tout à fait des esprits. On doit ces premières démarches scientifiques à des esprits éclairés qui figurent parmi les créateurs des premières sociétés savantes et de leurs publications dans les années 1660 (les Philosophical Transactions en Angleterre et le Journal des Sçavans en France). Toutefois ces savants n’avaient pas tous une expérience directe de l’océan, faute d’avoir embarqué sur les navires pour les expéditions ; leurs interprétations s’appuyaient donc parfois sur des observations faites par d’autres, sans pouvoir en vérifier la rigueur. De plus, la plupart d’entre eux avaient des champs d’intérêt très larges, où la mer n’occupait en général qu’une place mineure ou temporaire. Ainsi la contribution océanographique d’hommes aussi brillants que B. Franklin, A. de Lavoisier ou A. de Humboldt ne représente qu’une très petite partie de leur œuvre scientifique. Ce n’est que progressivement, au fil du 19° siècle, que l’approfondissement des connaissances conduisit à l’apparition puis à la dominance d’un profil de savant spécialiste d’une des branches, voire d’un domaine précis, des sciences de la mer. Cette tendance ne cessa de s’accentuer, jusqu’à l’apparition, au milieu du 20° siècle, du modèle du chercheur moderne. Cette figure, maintenant omniprésente dans les universités et organismes de recherche, ne se caractérise pas seulement par une hyperspécialisation croissante, mais aussi par l’appartenance à une communauté scientifique dont la structuration et les règles de fonctionnement sont très élaborées.

L’existence d’une telle communauté (définie par le partage de questionnements scientifiques et de méthodes d’investigation, et par l’utilisation de moyens d’échanges et de communication) est relativement récente pour les sciences de la mer. Quelques-uns de ces critères ont pu être remplis dès le 17° siècle pour certains pays ou certaines époques, mais entre les premières publications de nature scientifique sur la mer (Royal Society, début des années 1660) et les premières grandes campagnes océanographiques pluridisciplinaires (Challenger, 1872-76), les progrès de la connaissance et de la compréhension de l’océan ont été considérablement freinés par le manque de continuité dans les travaux, de comunication entre les acteurs et de transmission des résultats, toutes manifestations de l’inexistence d’une communauté scientifique internationale. C’est ainsi qu’on peut expliquer la persistance, jusqu’au milieu du 19° siècle, de l’emploi de thermomètres non protégés de la pression de l’eau (alors qu’il était établi depuis près de deux siècles que les lectures ainsi faites étaient biaisées), ainsi que les divers cas d’ignorance ou d’oubli d’avancées scientifiques (comme le sous-courant équatorial, découvert par Y. Buchanan en 1876 et oublié jusqu’au début des années 1960) ou méthodologiques (comme le thermomètre à renversement, inventé par G. Aimé en 1845 mais utilisé seulement 30 ans plus tard).

Du 16° au 19° siècle, trois périodes ont été marquées par des avancées significatives dans la connaissance scientifique des océans : les années 1660, la fin du 18° siècle, et les dernières décennies du 19°. L’essoufflement de la dynamique entre ces trois périodes semble moins du à un manque d’idées ou d’hypothèses à tester qu’à des facteurs spécifiques aux contextes nationaux des époques considérées, limitant la mise en œuvre des recherches nécessaires : statut et disponibilité des personnes, moyens financiers, etc. Vers le milieu du 19° siècle, alors que les connaissances s’étendaient et s’approfondissaient, il devint de plus en plus manifeste que l’étude de l’océan ne pouvait plus être menée à l’échelle individuelle par des savants, aussi brillants soient-ils, munis de moyens modestes. Ce n’est donc qu’à partir de la fin de ce siècle, lorsque les Etats commencèrent à s’engager dans le financement public de laboratoires, de grandes expéditions et de leur personnel scientifique, que furent réunies les conditions permettant l’émergence d’une communauté d’océanographes, qui se constitua progressivement avant de prendre toute sa dimension vers la moitié du 20° siècle, grâce à l’apparition de moyens d’observation, de calcul et de communication modernes.

Elle connut une évolution décisive au cours des années 1960-70, dans un contexte marqué par la compétition scientifique Est-Ouest et par la reconnaissance croissante de l’échelle planétaire des phénomènes océaniques et climatiques. En 1957-58, l’Année Géophysique Internationale et sa composante océanique avaient été le point de départ d’une organisation globale de la recherche océanographique. Le dynamisme et l’initiative des chercheurs et des laboratoires permirent la mise sur pied d’un certain nombre de grands programmes internationaux comme la Décennie internationale d’exploration des océans dans les années 1960, puis la naissance d’instances de coordination supra-nationales dépendant ou non des gouvernements, telles que la Commission océanographique intergouvernementale(COI) ou le Comité scientifique pour la recherche océanique (SCOR). Parallèlement, la question de la prévision du temps rapprochait météorologues et océanographes dans des programmes de plus en plus intégrés dont l’objectif était de mieux comprendre les interactions complexes entre l’océan et l’atmosphère. L’échelle spatiale de ces phénomènes nécessitant de très gros moyens, les années 1970 furent ainsi marquées par un grand programme international, le Global Atmospheric Research Programme (Garp), suivi au cours de la décennie suivante par plusieurs autres comme Woce (World Ocean Circulation Experiment) ou Toga (Tropical Ocean and Global Atmosphere). Par la suite, la découverte de l’importance planétaire d’El Nino et l’apparition de la problématique du changement global achevèrent de lier les parcours des océanographes et des atmosphériciens.

En quelques décennies, la communauté des océanographes physiciens avait ainsi connu une véritable révolution, passant d’une approche descriptive centrée sur l’océan lui-même à l’intégration dans une géophysique globale de la planète ; ceci nécessitait la collaboration avec d’autres communautés scientifiques (météorologues, climatologues, paléoclimatologues,…) et l’ouverture à des approches nouvelles comme la modélisation.

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