PIRATA

Prediction and Research Moored Array in the Tropical Atlantic

  CLIMATOLOGIE. Un projet de navire d'entretien de balises océanographiques.
Un trimaran au secours des bouées

Par SYLVESTRE HUET

Le mercredi 28 février 2001



Le site de l'Ifremer permet de consulter ses différents projets.

Le site sur le réseau PIRATA donne des informations sur les balises océanographiques

En étudiant les courants des océans, des réseaux de bouées permettent de prévoir la météo de la saison prochaine.


DR
Bouée du réseau Pirata, qui observe les fonds de l'Atlantique depuis 1997.
Mai 2005, Atlantique tropical, au large de Natal (Brésil). Sur les flots, un rêve d'océanographe, le Nor-50, file à 22 nœuds. Joli spectacle. Le bateau, un trimaran, est fin, élégant même avec sa coque de 50 m de long pour 14 de large. Ses flotteurs latéraux hors d'eau, seuls les deux ailerons touchent l'océan et stabilisent le navire sans le ralentir. A bord, 14 personnes, dont 4 scientifiques, remplacent une bouée perdue en plein milieu de l'Atlantique. Une bouée ancrée par 5 000 m de fond qui, avec une vingtaine d'autres réparties entre les Antilles et l'Angola, espionne les dessous de l'océan. Plus précisément les températures, courants et salinités des 500 premiers mètres d'eau.

Mêlées aux observations de satellites et moulinées par ordinateur, ces données océaniques permettent des prévisions météo surprenantes: elles révèlent la tendance - plus sèche, humide, chaude ou froide que la moyenne - de la saison prochaine, en Afrique et en Europe, tant les océans dominent l'évolution à moyen terme du temps. Informations précieuses pour les agriculteurs, industriels, gestionnaires de barrages, sécurité civile... D'autant plus précieuses que le réchauffement de la planète, pour cause de pollution en gaz à effet de serre, accentue les contrastes saisonniers et bouscule les habitudes.

Gestation. Retour à 2001. Ce navire et ses prévisions sont alléchants, mais exigent quelques décisions pour passer du rêve à la réalité. Cette nouvelle océanographie - dite opérationnelle pour souligner la transition entre la recherche scientifique et un système pérenne comparable aux satellites de la météorologie à court terme - n'est en effet qu'en gestation. Son origine remonte aux années 1990. D'abord dans le Pacifique, pour cause d'El Niño, cette bascule des eaux chaudes de surface qui passent d'un bord à l'autre de l'océan et bouleversent la météo sur la moitié de la planète. Pas moins de 70 bouées, implantées de l'Asie à l'Amérique, espionnent ainsi le géant des océans. Depuis 1997, c'est au tour de l'Atlantique tropical, petit à petit équipé du réseau de bouées Pirata (1). Formidable succès scientifique, ces expériences ont prouvé que les prévisions saisonnières ne peuvent se passer des secrets cachés au fond des océans... Invisibles aux satellites. Il faut donc des observatoires in situ, insiste Pascale Delecluse, du Lodyc (laboratoire d'océanographie CNRS/Paris-VI).

Des navires? Impossible car l'observation doit être permanente. Pour ce faire, océanographes et climatologues (2) ont mis au point deux techniques. Pour les océans tropicaux, des bouées ancrées au fond et dotées de capteurs sur leur ligne d'attache. Et pour couvrir l'ensemble des océans, 3 000 flotteurs dérivant, dont 500 pour l'Atlantique. Seuls les Américains et l'Ifremer (3) maîtrisent de tels engins. Ils plongent jusqu'à 2 000 m après leur immersion, dérivent durant dix jours, puis remontent vers la surface en enregistrant températures et salinité. Là, ils envoient par satellite leurs mesures et leur position, dont on déduit les courants, puis replongent pour dix jours. Et ainsi de suite jusqu'à 150 cycles.

Entretien. Bouées et flotteurs exigent tout de même d'être mis à l'eau, entretenus ou renouvelés: trois passages par an pour les bouées et un tous les trois ans sur un même point d'immersion pour les flotteurs. Dans le Pacifique, des navires (américains, japonais et français) sont utilisés pour le réseau de bouées. Rien n'est encore prévu pour l'océan Indien. Sur l'Atlantique, l'océanographe Jacques Servain, de l'IRD (3), initiateur du réseau Pirata, a jusqu'à présent utilisé la marine militaire brésilienne, et surtout l'Antéa, un catamaran de l'IRD basé à Abidjan (Côte-d'Ivoire). Mais l'Antéa est à quai depuis novembre 1999 pour cause de moteur défaillant... et d'un imbroglio technico-judiciaire entre l'IRD et le motoriste (Deutz) qui refuse de reconnaître sa responsabilité.

Grâce à des navires de l'Ifremer qui passaient par là pour d'autres missions, Servain a pu sauver Pirata, dont les bouées sont régulièrement sabordées par des pêcheurs de thons. Mais la menace d'une dégradation se fait pressante, alors que le réseau doit s'étendre vers les Antilles et l'Afrique du Sud. Comment en assurer la maintenance ?

Vrai-faux trimaran. «Il faut un navire rapide, donc léger, pas cher, donc à équipage réduit», résume Jacques Servain. Des qualités réunies dans un concept qui dormait dans les cartons de l'Ifremer depuis 1994. Un «monocoque élancé stabilisé». Vrai trimaran à l'arrêt et faux trimaran en vitesse de croisière (seuls les ailerons touchent l'eau). Etudié pour des ferries rapides, le concept a été adapté aux besoins de Pirata par Philippe Marchand, ingénieur à l'Ifremer, pour un coût estimé à 35 millions de francs (5,3 millions d'euros). Les deux compères proposent de l'utiliser également pour mettre à l'eau les flotteurs de l'Atlantique Sud.

Patron de l'Ifremer, Jean-François Minster trouve l'idée d'un navire rapide et spécialisé pour la maintenance des réseaux «intéressante», mais souligne qu'il faut encore «creuser le sujet». La technologie des flotteurs peut évoluer et permettre une mise à l'eau simplifiée «par des navires marchands, voire par avion». En outre, la finalité opérationnelle de tels réseaux suppose des crédits récurrents, sur le mode des satellites météo et non de programmes de recherche dont les budgets sont limités dans le temps. Et si Jean-François Minster voit bien l'Ifremer gérer un tel outil, le financement ne peut se concevoir qu'au plan européen, dans le cadre d'une rationalisation des flottes scientifiques. Le Nor-50, s'il voit le jour, risque donc d'attendre encore quelques années

(1) Pilot research moored Array in the tropical atlantic.

(2) Les programmes internationaux Coriolis et Argo.

(3) Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer.

(4) Institut de recherche pour le développement.


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